Didier Ruiz ne croit pas en Dieu. Pourtant, des rencontres successives avec des hommes et des femmes de foi l’ont marqué. Aussi cet artisan du théâtre documentaire a voulu réunir sur le plateau des personnes qui, à un moment de leur vie, ont choisi à des degrés divers l’engagement religieux : chrétiens et chrétiennes, juif, bouddhiste, musulman, chaman, ces hommes et ces femmes parleront non de leur doctrine mais de spiritualité, de ce qui les rend différents, de ce qui les habite. Il ajoute donc un nouveau chapitre à son « théâtre de l’humanité » en réunissant sur scène sept hommes et femmes de foi, de toutes confessions (Adel Bentounsi ,Marie-Christine Bernard, Olivier Blond , Éric Foucart , Grace Gatibaru, Jean-Pierre Nakache, Brice Olivier) : un plaidoyer pour une spiritualité ouverte.

Didier Ruiz n’aime pas le terme clinique de théâtre documentaire. Il préfère celui plus sensible de « théâtre de l’humanité », « un théâtre qui rend compte du monde, avec sa beauté parfois éblouissante ». On comprend ce qu’il veut dire après avoir découvert son nouveau spectacle chargé d’émotions « Que faut-il dire aux hommes ? », le dernier volet d’un triptyque dédié aux « invisibles ».

Après avoir réuni sur scène d’anciens prisonniers « Une longue peine », puis des transsexuels « Trans » , il « accompagne » cette fois la parole d’hommes et de femmes de foi : un frère dominicain, une religieuse qui a quitté les ordres, une pasteure protestante, un juif, un musulman, un bouddhiste et un chaman. Dans la rue, il est vrai, on ne reconnaît pas a priori un ex-taulard, une personne qui a changé de sexe ou un croyant. Leur « invisibilité » a en commun de masquer un long cheminement, une forte conviction, nés de leur destin et de leur parcours singuliers.

Les croyants qui se livrent par bribes sont tout sauf des bigots. Ils ne défendent pas les religions et leurs codes figés, ils cultivent un rapport direct à la spiritualité, à Dieu, à Bouddha ou aux esprits. Qu’elle ait été désirée pour combler un vide, panser une rupture (le bouddhiste) ou qu’elle leur soit tombée dessus sans crier gare (l’ex-religieuse), leur foi n’est pas un carcan ou un logiciel pour juger les autres. Elle les nourrit, les rend libres et heureux.

Amour de l’humanité

Leurs anecdotes, tour à tour graves ou joyeuses, sont savoureuses, leurs analyses, lucides. Jamais leur croyance n’efface leurs doutes. Elle est indissociable de l’amour de l’humanité. Salvatrice pour certains, elle peut se vivre en solitaire ou en couple (dans une stricte égalité homme-femme) et convoque souvent la poésie. Ainsi de cette évocation du paradis par l’artiste musulman – un paradis qu’il veut atteindre pour y découvrir des couleurs qu’il n’a jamais vues.

Seuls en scène ou à plusieurs, les acteurs amateurs se racontent d’une voix posée, en de courts monologues croisés. La scénographie, minimale, est éloquente. Le plateau nu a des allures de nacelles, avec ses câbles tendus vers les cintres en perpétuel mouvement, donnant l’illusion d’une ascension vers le ciel. Aucun dogme, aucune violence. On oublie les conflits, les guerres de religion. Ici, on s’exprime le cœur et l’esprit libres. Loin des haines recuites du monde, Didier Ruiz et ses enfants de dieu(x) offrent au public croyant ou athée un moment de grâce et de sérénité.

 

« Dans une société en manque de spiritualité, où les religions sont synonymes de déchirements et de haine, il me semble que nous avons besoin de nous reconnaître, de nous retrouver. Nous avons besoin de soleil. Oui, de soleil. 

La religion ne m’intéresse pas en tant que telle. La spiritualité oui. Elle m’aide à conserver mon statut d’être humain, à vivre avec les autres. Et surtout elle m’aide à

penser la mort. 

Ils seront sept sur le plateau. Cinq hommes, deux femmes. Tant pis pour la parité.

Je n’y suis pas arrivé. 

J’entends beaucoup de choses communes dans leur bouche, des certitudes mais aussi des doutes, l’écriture d’un chemin loin des dogmes officiels. Ils ne représentent en rien des courants officiels mais plutôt des manières différentes de vivre leur foi. Aujourd’hui et dans la joie. 

C’est un sujet sensible  dit-on dans mon entourage. Parler de spiritualité au théâtre n’est pas chose courante. J’ai bien conscience que laisser apparaître sans affirmer, laisser la porte ouverte sans certitude, nourrir une réflexion sans avoir la main lourde est une position délicate et le fil est mince… 

Après les ex-prisonniers d’« Une longue peine », les personnes transgenres de « TRANS », ce troisième volet fermera un triptyque consacré aux invisibles, engagés dans des convictions pour atteindre la liberté. Comme pour les précédentes créations je travaillerai selon le procédé de la parole accompagnée qui m’est cher, faisant le choix de la partition orale et non d’un texte.

Didier Ruiz, janvier 2020

Des acteurs amateurs – une pasteur protestante originaire du Kenya, un frère dominicain qui vit dans un couvent parisien, un jeune français bouddhiste, un avocat juif pratiquant à la retraite, un chamane clown, une religieuse devenue coach en entreprise et un plasticien musulman – qui vous touchent en plein cœur car chacun parle en vérité de sa spiritualité, de ce qui l’habite, de ce qui le rend unique et différent.

Je retiens particulièrement la revendication d’une acuité brûlante d’Adel Bentounsi, le musulman artiste qui se revendique désarmé. “L’étymologie de musulman ça veut dire désarmé. Donc être musulman veut dire que je suis sans arme” : quelle admirable affirmation !

Avis de Sr Catherine Aubry