Le plus grand danger est de s’habituer.

Il ne faut jamais s’habituer à rien. Ni aux merveilles, ni aux drames. Il faut envisager les choses avec toujours la même émotion naïve, la même stupéfaction heureuse, la même douleur révoltée.

Il y a deux ans, le dragon de Komodo avait rejoint la liste rouge des espèces en danger, comme plus d’un tiers des espèces de requins et de raies. Des nouvelles comme ça il y en a tous les jours. On ne doit jamais s’habituer.

Inutile ici de refaire la liste des catastrophes naturelles qui frappent la planète en permanence, et qui sont désormais le fait en majeure partie du dérèglement climatique. On ne doit jamais s’habituer. Jamais élever le drame au seuil de la banalité acceptable et impossible à changer. Si on s’habitue, on s’accommode. Alors on accepte, alors on a fini de se battre et le grand incendie nous gagnera toutes et tous.

Ne jamais s’habituer implique une grande hygiène de l’indignation. Il n’y a pas de temps mort. C’est un exercice perpétuel, mais nécessaire. S’habituer c’est accepter. Êtes-vous prêtes à vous habituer à des rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) toujours plus alarmants ? Ces alarmes-là ne sont pas celles d’un réveil, qu’on peut snober, pour gratter quelques minutes supplémentaires. Êtes-vous prêtes à regarder finir ce monde ? Si on ne s’habitue pas, alors tout est encore possible. On peut encore changer – sauver – le monde.

L’avantage quand on ne prend l’habitude de rien, c’est qu’on ne s’habitue pas non plus aux bonnes choses. On revit sans cesse des premières fois, avec une joie pure et innocente. Ne pas s’habituer, c’est siroter la beauté toujours avec la même impression de découvrir un parfum.

Ce numéro de septembre est le 30ème sous le nom des Échos.

Entre le premier en début 2014 et ce trentième, que de moments de vie joyeux ou tristes nous avons vécus et qui laissent des souvenirs qu’on revit sans cesse. Parmi eux, des moments de joie comme fêter nos sœurs centenaires ‘ Srs Marcelle Stiennes, Elisa Marie, René Chaumeil, Charles de la Trinité, Marie-Séraphie, Victoire, Suzanne Dangel, Marie-Dominique du Rosaire, Marie-François du Sauveur, Paul de la Trinité, Germaine de la Trinité, Yvonne Gouyou Geneviève Houdy, Marguerite des Anges, Mechtilde Poittevin) ou même leurs 105 ans (Srs Rose de l’Immaculée, Elisa Marie, Charles Renée, Victoire) ; accueillir de nouvelles sœurs lors des fusions (Congrégation Ste Catherine de Sienne d’Auch, Congrégation des Petites Sœurs Dominicaines) ; vivre un pèlerinage de Province à Jérusalem ; se joindre à la joie et l’action de grâce de nos sœurs ayant fait profession temporaire ou définitive (Srs Maria Esperanza, Virginie Dilebzanga, Anne-Claire Tessier, Marie-Cécile Lee ; célébrer chaque année les jubilaires ; vivre le 8ème centenaire de l’Odre ou l’Année de la Vie Consacrée ; accueillir de nouveaux évêques dans les diocèses où nous sommes (Mgrs Aveline, Jordy, Micas, Ulrich) ; se réjouir de béatifications ‘(Abbé Fouques, Carinal de Lubac) ; voir l’aboutissement des travaux et restructurations entrepris (IME St Martin des Douëts, Maison St Charles, Maison-Mère) ; retrouver une sœur (rencontre avec l’Espagne), des amis que l’on n’avait pas revus depuis des années ; rencontrer des personnes lumineuses : des émotions uniques, toujours comme si c’était la première fois. Ne s’habituer à rien, c’est se laisser porter par une excitation totale, avide de regarder derrière les collines et toujours plus loin vers d’autres horizons, c’est s’ouvrir à l’inconnu qui se dessine au-delà de ces moments privilégiés. Des moments de tristesse et de peine et je pense, entre autre, aux décès de nos sœurs, des Frères Jean-Pierre Lintanf et Bernard Pineau, d’hommes comme Mgr Etchegaray et Mgr Gaillot ; les fermetures de Communautés (Joigny, Lafitte sur Lot, Ste Geneviève des Bois, Le Havre, Mont de Marsan, Marseille La Marie, Sierck-LesBains, Paris St Jacques, Sarreguemines) ; l’incendie de Notre-Dame de Paris. Et puis des moments de souffrance devant les horreurs de la guerre, de l’injustice, de la violence sous toutes ses formes : les situations de pays comme le Liban, l’Ukraine et certains pays d’Afrique ou d’Amérique Latine ; la situation de notre église avec les abus de toutes natures qui continuent de la défigurer. Ne s’habituer à rien, c’est être lucide, ne pas se cacher la face, offrir sa compassion, être solidaire et engagée dans les justes combats et même se battre contre des moulins à vent sachant que rien n’est perdu de ce que nous vivons.

Septembre, c’est le début de la saison des aventures. Ne vous habituez à rien. Ne vous attendez à rien. Profitez juste du plaisir de découvrir les choses, de les envisager, puis de tenter d’influer sur leurs cours quand vous le pourrez. Prenez le temps de vous émerveiller de la forme des nuages, du ramage des arbres. Indignezvous quand des frères souffrent par la faute de leurs semblables, quand une espèce animale est menacée. Soyez fières de la personne que vous êtes, profitez de ce que vous faites.

Etonnez-vous et réjouissez-vous d’exister.

Bref, bonne rentrée !

Sr Catherine Aubry

A la manière d’Arthur Guillaumot qui m’a inspirée.
Il est directeur de rédaction du Magazinz « Première Pluie ».