Voici une longue journée qui se termine, ce premier jour de la semaine (24, 1). Les femmes fidèles et aimantes ont découvert un tombeau vidé du mort. Malgré leur stupeur, elles sont parties raconter aux onze. Pierre veut voir de ses yeux, il arrive, ne voit rien, sinon des bandelettes. Il était ici et n’y est plus. Puis voilà des hommes abattus qui s’en vont vers Emmaüs et font une rencontre qui change la destination du voyage et les fait revenir à Jérusalem, tout autrement : relevés du désespoir, rendus à l’avenir. Ils sont là ces deux hommes, avec les autres disciples, à converser, vouloir croire et douter, entre crainte et espérance, quand arrive notre épisode de ce 3e dimanche. Tout cela va bien vite. Trop vite je trouve : comment prendre la mesure de tous ces événements en si peu de temps. Ne peut-on rester plus de temps avec les femmes ? Laisser résonner la question des deux hommes en habits de lumière ? « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? ». Peut-être est-ce là l’indice décisif.

Regardons. Jésus ne s’approche pas, comme pour les marcheurs d’Emmaüs, mais se tient au milieu d’eux. Il est déjà là. Comme toujours en fin de compte. Discrètement. Incognito. Vivant. Aucun coup de tonnerre, aucune lumière aveuglante. Rien d’autre que des hommes qui parlent et Jésus qui vient se joindre à eux, dans cette sécurité qu’est la paix qu’il offre.

Pourtant les amis ont peur, comme lors de la découverte du tombeau vide par les femmes. La résurrection n’est pas une nouvelle de comptoir, mais un feu qui suscite de l’inquiétude et les sentiments s’entrechoquent. Comme pour nous. Le trouble, la crainte, liée à la présence du ressuscité. Mais aussi le soupçon, au moins le doute, ces objections légitimes qui surgissent de notre cœur. Est-ce le ressuscité ? Un fantôme ? une illusion ? Jésus fait signe vers ses plaies vives ; c’est donc bien lui. Des mains et des pieds cloués, mémoire de la vie donnée, offerte en partage en notre faveur, à tous. La vie sans réserve gardée. Les voilà rassurés, heureux ; pas encore croyants. Comme nous. La joie ne suffit pas à croire, mais elle ouvre une brèche, car elle a le goût du pain partagé, de la vie rompue ensemble, de la marche vers Emmaüs, des soirées à écouter, à chercher, à comprendre. Et voilà que Jésus demande du poisson, repas si commun de ces pêcheurs. Parler, manger, marcher, un homme avec des pieds et des mains. Incroyable pour les lecteurs grecs de Luc pour qui le corps n’est qu’une enveloppe et ne compte que l’âme. Saisissant pour nous d’être devant une scène si ordinaire et qui pourtant raconte l’inouï de ce Dieu fait chair qui a décidé d’être avec nous pour toute la vie.

Jésus mange en partageant la parole des Écritures, en ouvrant l’intelligence. « Ouvrir l’intelligence », n’est-ce pas « le secret de ne pas chercher parmi les morts celui qui est vivant ? » Intelligence qui descelle les œuvres de mort, qui soutient les vies brisées, qui soulage le pas fatigué, entend la peur et sait mettre en sûreté, sans tromperie. Intelligence de l’âme et du cœur qui apprend à lire où souffle l’Esprit du vivant, vers l’avant, sans rien minimiser du poids de douleur de l’existence. Et qui rend possible de tout prendre de sa vie. Le Christ est mort, assassiné, relevé au 3e jour. Il aime comme il a toujours aimé et ne cessera de le faire. Il se tient là, simplement là au milieu du réel de la vie et de ce monde, partageant l’humble ordinaire. Nulle part ailleurs.

Tout est là, accompli, ouvert, offert.

Reste au témoin malhabile, mal croyant, tendu encore entre craintes et sûreté, de ne rien garder pour lui. Modeste et indispensable témoin que le crucifié-vivant est discrètement et fermement présent à nos histoires cabossées, soutenant notre souffle. Espérant.

 Sr Véronique Margron

 

Commentaire publié sur le site de La Vie , à retrouver en cliquant ICI.