Cet article vient nous rappeler le contenu des conférences qui nous ont été données lors des journées provinciales de mai et juin 2022.

Intervenant : Le Père Jean-Yves Baziou

Il est docteur en théologie et en histoire et anthropologie des religions. Entre autres responsabilités successives, il a été aumônier du MRJC et de l’ACE, mais aussi Secrétaire national des Aumôneries de l’Enseignement Public, chargé de Formation dans son diocèse de Quimper et enseignant à la Faculté de Théologie d’Angers et à la Faculté de Théologie de Lille dont il a été le doyen. Il a été également membre de l’Institut de recherche pour l’étude des religions de l’université Paris IV. Il est l’auteur d’ »Une parole chrétienne dans l’événement » (2010) et « Les fondements de l’autorité » (2005) aux éditions de l’Atelier.

1 – Une Église catholique fortement ébranlée

L’événement déclencheur d’une interrogation sur l’exercice de l’autorité dans l’Église catholique et qui a entraîné le pape à engager une réflexion sur la synodalité est la crise de crédibilité qu’elle affronte. Un doute s’est installé : pouvons-nous encore accorder foi à notre Église ? Est-elle encore l’Église du Christ ? Un faisceau d’événements est à l’origine de cette interrogation : pédo-criminalité du fait de nombreux responsables, religieuses abusées, néo-cléricalisme, arbitraire de certains chefs, abus d’autorité, mise à l’écart de personnes et de groupes qui émettent des critiques, centralisme et opacité des décisions, absence de réels débats menant à des co-décisions, problème de la place des femmes dans l’espace liturgique, mais plus largement dans l’accès au ministère ordonné et dans les processus de décisions. En France, le rapport de la CIASE a pointé de nombreux problèmes qui appellent des réformes de fond.

Ce n’est donc pas tant de l’extérieur que proviennent les pires ennemis du Seigneur et de son Église que de l’intérieur du cercle de ses disciples. D’ailleurs dans l’histoire, – et ce, dès l’émergence du christianisme – ce sont souvent des disciples qui ont fait et font écran entre le Seigneur et la foule. Saint Paul s’était lamenté devant ce danger jusqu’à en pleurer : « Je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ » (Ph. 3, 18). L’Église catholique est aujourd’hui durement et publiquement affrontée à cette contradiction : laisse-t-elle transparaître Celui duquel elle tire sa seule légitimité ? Certes, l’Église, comme tout apôtre, n’est pas le Christ, mais elle ne peut prétendre s’appuyer sur aucune autre figure. N’oublions pas que Pierre, qui représente dans premiers écrits chrétiens l’autorité et l’institution ecclésiale, a pleuré sur lui-même, sur son manque de foi, sur sa lâcheté et sur sa défaillance. Comme Pierre, l’Église a toujours besoin du pardon et de la grâce du Seigneur : par elle-même, elle n’a aucune force ni légitimité. Karl Barth avait souvent évoqué l’impasse pour les Églises quand elles oublient leur principe et leur origine : « Si l’Église n’a d’autre but que son propre service, elle porte en elle les stigmates de la mort »1.

Le travail urgent est de retrouver notre source et nos raisons d’être. L’enjeu : reconstruire les conditions de crédibilité de l’Église catholique aux yeux des baptisés, de nos contemporains et des sociétés. Il y a en effet une trop grande contradiction entre le fonctionnement interne de l’Église et l’ Évangile de Jésus. C’est une question qui court un peu partout : les institutions ecclésiales avec leurs membres, leurs responsables, vivent-elles à l’intérieur d’elles-mêmes du message qu’elles annoncent aux autres à l’extérieur ? Est-ce que c’est l’Évangile du Christ qui est le critère déterminant des décisions prises dans l’Église, ou pas ? À quoi sert d’annoncer cet Évangile si on n’en vit pas d’abord dans l’Église et entre baptisés. C’est tout le problème de la justesse de vie avec l’Évangile qui est posé. Nous avons à redevenir « vrais », à nous ajuster du mieux que l’on peut au style de vie de Jésus. Et cela ne vaut pas seulement pour les personnes, mais pour l’organisation institutionnelle catholique. Le processus synodal en cours peut être l’occasion d’une révision de vie collective portant sur nos fonctionnements institutionnels.

2 – Au fondement de la synodalité : la figure pastorale de l’autorité

Qu’est-ce que la synodalité et quel est son fondement ? Tout groupe social, quel que soit son périmètre et sa nature, doit gérer le rapport entre son unité et sa diversité. Cette gestion revient en particulier à la fonction d’autorité ou de gouvernement. Trois formes d’autorité sont à considérer :

  • L’autorité monarchique : c’est le pouvoir d’un-e seul-e ; dans l’Église cela s’appelle la primauté.
  • L’autorité oligarchique : c’est le pouvoir de quelques-uns ; dans l’Église cela s’appelle la collégialité.
  • L’autorité démocratique : c’est le pouvoir de tous, du peuple ; dans l’Église cela s’appelle la synodalité. « Synode » est souvent traduit par « marcher ensemble ». On peut être plus précis : « marcher les uns avec les autres ».
  • Ces trois formes se combinent quel que soit le régime dominant. Prenons l’exemple d’une équipe pastorale. « Équipe » dit qu’il y a une collégialité. Cependant, dans cette équipe ou ce collège, il y a quelqu’un qui exerce une certaine primauté, ne serait-ce que dans tel ou tel domaine. Et puis, tant l’équipe que le détenteur ou la détentrice de la primauté font partie d’un peuple plus large, le peuple des baptisés qui forment la paroisse, le mouvement, la communauté, l’aumônerie, la congrégation etc…

Ces trois formes d’autorité ne sont donc jamais exclusives l’une de l’autre dans l’Église. Cyprien de Carthage (né vers 200 ) avait eu cette formule : « Rien sans l’évêque, rien sans le conseil du presbyterium, rien sans l’assentiment du peuple ». Combinaison donc de la primauté de l’évêque, de la collégialité des presbytres, et de l’accord du peuple en son ensemble, ce qui est la synodalité. J. Ratzinger, peu de temps avant d’être élu pape, avait commenté cette formule de Cyprien de Carthage : « Cette triple forme de coopération à l’édification de la communauté représente le modèle classique de la démocratie ecclésiale. La démocratie ecclésiale (…) découle de la structure même de l’Église, et, par voie de conséquence, elle est conforme au droit spécifique que possède l’Église »2. On pourrait dans la même ligne rappeler un point de droit médiéval qui continue à figurer, pour partie, dans le code de droit de l’Église catholique à propos des synodes : « Ce qui concerne tout le monde dans l’Église doit être discuté et approuvé par tous »3. N’oublions pas qu’au début des Églises les responsables étaient élus par le peuple4. Les responsables des Ordres religieux sont élus à bulletins secrets. Le pape est élu par un collège de cardinaux.

La figure du pasteur

Il y a une forme propre d’autorité dans la Bible et qui reste au cœur de l’édification de l’Église du Christ : l’autorité pastorale. Elle régule le rapport entre l’unité et la diversité du peuple. Le qualificatif « pastorale » renvoie à la figure du pasteur, le conducteur du troupeau. Ce mot désigne donc un type de rapport à un peuple et une façon de faire communauté. Pour en saisir la portée et l’originalité, nous pouvons faire le détour par la Grèce antique.

Pour les Grecs, ce qui fait la Cité ce sont les lois. Les lois sont impersonnelles : elles s’appliquent à tous. Elles échappent donc au seul bon vouloir, au seul arbitraire de telle ou telle personne au pouvoir. Et comme elles s’appliquent à tous, elles permettent le vivre ensemble. Il revenait au magistrat, au chef de la Cité, de faire appliquer les lois. Le but : faire tenir les habitants dans le tissu de la Cité. On parle de « tissu » social  pour signifier que nous nous tenons ensemble comme les fils d’un vêtement tressé. Donc l’enjeu du travail des lois et du magistrat est de garantir l’unité de la Cité. Il n’en demeure pas moins que les Grecs ont sans cesse espéré un magistrat qui ne se contenterait pas de la loi, mais qu’il serait aussi capable de philanthropie, c’est-à-dire de bienveillance envers les citoyens.

Dans la Bible, pour le peuple d’Israël, il y a aussi des lois, mais on trouve d’abord la figure du pasteur. C’est la personne du pasteur qui fait le peuple. Il tient le troupeau rassemblé. Et si le pasteur disparaît, le troupeau risque de s’éparpiller et donc de perdre sa cohésion. Le propre du pasteur est de se dévouer pour son peuple. Il se préoccupe de son essentiel vital : la nourriture et la sécurité. Il reste en veille quand le troupeau dort ou se repose. Il s’inquiète aussi de chaque tête et pas seulement de la totalité, car il veut que personne ne se perde : chacun/e est précieux pour l’ensemble du groupe. Le pasteur est donc dans un rapport de dévouement, de générosité à la communauté et à chaque personne. Il est même capable de se livrer pour sauver son peuple. Pour cela, il peut aller jusqu’au sacrifice, jusqu’à donner sa vie. La foi chrétienne va caractériser Jésus comme le bon pasteur, capable de retrouver chaque égaré, capable aussi de mourir pour sauver toutes les créatures humaines de Dieu.

Quel est le sens profond de cette figure du pasteur et en quoi indique-t-elle un style d’exercice d’une responsabilité en Église ? En mettant en avant la personne du pasteur, la Bible dit que les lois seules, c’est-à-dire les règlements, les procédures, les normes, ne suffisent pas à assurer la cohésion et l’unité d’un peuple. Il y faut aussi de la bonté, de la générosité, le souci de prendre soin. Quand le pasteur agit ainsi on a confiance en lui. S’il y a le juste, il faut aussi le bon pour faire un peuple. La relation pastorale, la pastorale, désigne donc essentiellement un rapport généreux et bon à une communauté et à chaque personne qui en fait partie. Elle est la mise en œuvre d’une amabilité première, d’un accueil primordial et inconditionnel, en écho à la première parole de Dieu dans la Genèse : « et Dieu vit que cela était bon ». Il revient donc à toute autorité pastorale d’être cet écho de la bienveillance de Dieu dans le présent. Car Dieu a mis sa confiance et son espérance dans ses créatures : nous sommes l’espérance de Dieu pour sa Création.

Qu’en retenir pour notre sujet ? Être pasteur, et cela est le cas pour tout-e responsable en Église, c’est attiser des relations de confiance mutuelle, des relations de fraternité ouverte à tous et toutes. C’est encore prêter attention et reconnaissance à quiconque, ouvrir son cœur et le cœur de l’Église à ceux et celles qui passent pour des riens, aux souffrants, aux victimes. C’est aussi faire porter les regards sur tous les lieux séculiers de l’agir humain où les hommes, les femmes et les peuples cherchent à créer les conditions d’une vie bonne. Parmi ces conditions, il y a le travail sur les institutions collectives de telle sorte qu’elles soient des corps qui prennent en charge nos espérances et nous ouvrent un avenir vivable. Quelle peut être la figure institutionnelle de l’Église quand elle vit selon ce mode de relation ?

3 – Vers un corps ecclésial qui accueille et articule ses diversités

31 – Deux schèmes du corps ecclésial en tension

L’image du corps a été utilisée dès les origines chrétiennes pour penser l’organisation des baptisés réunis en Église. La force de cette image est qu’elle permet de saisir le rapport entre unité de l’Église et multiplicité des Églises et de leurs membres. Mais elle peut être déployée dans deux directions qui n’engagent pas le même type de socialité ecclésiale, de conceptions des ministères, des rapports entre laïcs, évêques, prêtres. Deux modèles sont en tension.

Il y a un modèle/schème monarchique et vertical. Son principe : on privilégie le pôle unité par rapport au pôle pluralité. L’image du corps est utilisée pour insister sur l’unité des diverses Églises et sur l’unité dans chaque Église, notamment dans le cadre de désaccords et de tendances schismatiques, donc de divisions. Ce modèle comporte deux composantes principales. D’abord on donne la prééminence à une tête dans l’Église pour qu’elle figure et gère l’unité par-delà les diversités, ce qui pourra tendre à une concentration des pouvoirs sur l’évêque et les clercs. Seconde composante : l’unitarisme. L’Église est perçue comme une entité unifiée et même uniforme : le corps ecclésial est vu à partir de sa totalité. Dès l’épître aux Éphésiens, on peut lire cette tonalité avec son insistance sur le « un seul » : «Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance ; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous qui règne sur tous » (Eph 4, 4-5). Cyprien de Carthage insistera tellement sur l’unité qu’il en viendra à dissoudre la diversité : pour lui, l’Église est « un seul corps, avec lequel notre pluralité est unie et confondue »5. Cette vision a été prégnante dans l’histoire de l ‘Église et elle continue à habiter bien des imaginaires catholiques.

On en connaît les principaux traits :

  • hiérarchisation de l’Église à partir du pape,
  • déclinaison de la monarchie à tous les niveaux
    • universel : le pape
    • local : l’évêque
    • paroissial : le curé
  • développement d’une symbolique paternelle de l’autorité : « très saint père », « père »..
  • des laïcs considérés comme mineurs : ils sont à enseigner, ils doivent être des fidèles obéissants, ils sont certes considérés comme des objets de sollicitude mais pas comme des acteurs responsables de leur communauté ou Église.

Il existe une second modèle : le schème du corps différencié, ou de l’unité différenciée. Le principe : l’articulation de l’unité avec la pluralité ; le pluriel y est vu comme une composante de l’unité (et non pas comme un inconvénient ou une désagrégation d’une unité originaire). L’image du corps sert ici à rendre compte du fait que l’Église s’édifie dans la pluralité des baptisés, des conditions sociales, des styles de rassemblements et d’organisations, des fonctions, des états de vie, etc… Saint Paul présente ainsi l’unité de l’Église comme une diversité articulée où chaque membre est nécessaire pour la solidité de l’ensemble : « de même que notre corps en son unité possède plus d’un membre et que ces membres n’ont pas tous la même fonction, ainsi nous, à plusieurs, nous ne faisons qu’un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres » (Rm 12, 4-5)6. À mon sens, une Église réellement synodale relève de cette symbolique du corps articulé.

32 – Le style de lien ecclésial selon la synodalité : une Église polyphonique

La structure relationnelle de l’Église

Cette conception synodale avait été bien thématisée lors du dernier concile de Vatican II. Elle donne à l’Église une structure relationnelle. L’égalité est d’abord articulée à la différence : tous et toutes sont à égalité dans l’Église car tous ont reçu le même baptême, et le même Esprit saint. S’il y a différents rôles et diverses fonctions, ils sont dans un rapport de réciprocité et non pas de hiérarchisation : aucune fonction ou responsabilité n’est indépendante des autres composantes de l’Église. Lumen gentium parle à ce propos de « communauté de rapports »7. C’est ensuite la diaconie ou le service mutuel qui anime les relations ecclésiales : tout le monde a besoin de tout le monde. Les différents ministères, par exemple, sont à penser et à vivre en complémentarité et en fonction des besoins et des attentes des baptisés. Un ministre est un serviteur ! Ces ministères peuvent donc évoluer en nombre et en forme selon les communautés et les contextes. Et de nouveaux ministères peuvent émerger. L’Église est une réalité évolutive : son organisation doit donc elle-même évoluer.

Ce service mutuel suppose un dialogue constant dans l’Église. Vatican II parle ainsi de « commerce familier » entre pasteurs et laïcs. Pourquoi dialoguer ? Simplement parce que personne dans l’Église n’a le monopole du spirituel, pas plus que de l’engagement social ou temporel. Il n’y a pas de dimension réservée à certains et refusée à d’autres. On sait que Vatican II avait tenté de dépasser la bipartition des domaines du spirituel et du temporel et leur superposition d’une part aux clercs et d’autre part aux laïcs. Lumen Gentium rappelle à ce propos que les pasteurs « avec l’aide de l’expérience des laïcs sont mis en état de juger plus distinctement et plus exactement en matière spirituelle aussi bien que temporelle, et c’est toute l’Église qui pourra, ainsi renforcée par tous ses membres, remplir plus efficacement sa mission pour la vie du monde »8. Ainsi donc, personne ne peut prétendre au monopole du discernement spirituel.

Sur cette base, la vérité de la foi est partagée par tous les baptisés : l’infaillibilité en matière de foi appartient au peuple ecclésial en son ensemble. Il n’y a pas une élite « éclairée » qui serait en possession exclusive de la vérité en matière de foi et qui pourrait prétendre avoir raison contre ou sans les autres. Il existe plusieurs manières de vivre et de penser la même foi au Christ. C’est donc à plusieurs et dans l’échange que nous pouvons discerner la richesse de la foi au Christ. Cela entraîne en conséquence une humilité ou une modestie des affirmations singulières, la confrontation et la reconnaissance de pratiques, de traditions et d’interprétations diverses.

La mise en œuvre d’un tel style de relations dans l’Église peut favoriser une culture de fraternité : de même qu’en Christ Dieu s’est fait le frère et le voisin de tout homme et de toute femme, nous avons à cultiver le même mode de relations entre nous et avec nos contemporains. Vatican II parle de soutien, d’aide, et de collaboration entre baptisés. Cette culture de fraternité ne se limite pas à une fraternité des chrétiens entre eux.

L’horizon de la responsabilité de tous les baptisés

L’un des tournants de 1965 a été la reconnaissance que les laïcs sont responsables « dans » et « de » l’Église. L’accent a été mis sur la responsabilité des laïcs dans la conduite et la mission de l’Église. Les laïcs partagent donc le ministère « de » l’Église : ils ont la charge de témoigner et d’annoncer l’Évangile de Jésus en paroles et en actes. Déjà, à propos des mouvements apostoliques de laïcs, Pie XI tenait que les laïcs participent à l’apostolat hiérarchique. Autrement dit, nous partageons tous et toutes, à la place qui est la nôtre et à notre mesure, la même mission essentielle confiée par le Christ à ses disciples.

Le principe de synodalité peut servir d’indicateur pour maintenir ou viser cet horizon de la responsabilité de tous et toutes dans l’Église. Mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? S’il y a des équipes pastorales chargées de l’animation, de la gestion ou de l’impulsion de divers groupements (paroisses, mouvements, services, associations, sanctuaires, etc…), ces équipes n’ont pas à capter tout le pouvoir au point d’empêcher d’autres baptisés de prendre des initiatives et d’exercer des responsabilités. Toute instance pastorale, tout ministère demeurent dans une relation de frères et de sœurs dans la foi avec les autres baptisés : les uns ne sont pas subordonnés à d’autres. Il faut aussi se méfier d’une « culture du club » qui consiste à faire tourner l’Église autour d’un petit groupe qui se coopte. Dans l’Église du Christ tout responsable, tout ministre est en position de service et donc de modestie.

D’ailleurs, aujourd’hui, personne ne peut agir seul dans une responsabilité : les situations sont trop complexes. Il faut accepter d’avoir besoin des autres, par exemple en sachant s’entourer de personnes qui ont des compétences diverses. Nous avons même intérêt à ouvrir nos instances à des compétences extérieures qui peuvent enrichir le regard, l’intelligence et le cœur. Au fond il s’agit d’encourager l’apprentissage et l’exercice d’une responsabilité partagée. Une des conditions pour honorer la responsabilité partagée, c’est de repenser la place du désaccord. En effet l’explicitation du désaccord reste trop souvent comprise comme une dissidence. Or elle peut être comprise et intégrée comme un moment de la construction du Commun, donc de l’unité. Il manque ainsi dans l’Église catholique de réels conseils, de réelles assemblées où l’on puisse confronter nos points de vue et enrichir ainsi l’unité commune. Trop de conseils ne sont que cooptés, souvent par un seul et souvent seulement consultatifs : il n’y a pas de vrais débats.

En conclusion

Une des garanties d’une réelle pratique de synodalité est de garder les yeux tournés vers le Christ, vers sa bonne nouvelle de salut et ce qu’il appelle le Royaume de Dieu. Car la tête ultime de l’Église reste le Christ et c’est lui qui nous réunit dans la force de son Esprit. Ainsi, si tel/le ou tel/le est à la tête d’une organisation ou d’une institution ecclésiale, il/elle n’en est pas la tête. Personne n’a été délégué pour prendre la place du Christ. Jésus le Christ reste irremplaçable. Comment signifier cela ? Au moins en ne refermant pas le cercle ecclésial sur tel/le ou tel/le, ni sur le groupe de ceux qui en font partie, mais en orientant les regards vers le Seigneur et donc en cultivant un compagnonnage avec les paroles et les gestes de Jésus. Car l’essentiel est de donner un avant-goût du Royaume de Dieu par des gestes de salut, de miséricorde et de paix, par des paroles de reconnaissance et de consolation, par des regards qui redonnent confiance et force. Si l’Église suit vraiment son Seigneur, elle peut esquisser sur terre une ébauche de la maison du bon Dieu.

Jean Yves Baziou (juin-juillet 2022)