3e dimanche de Carême 2021, Exode 20, 1-17 

Dix paroles pour l’avenir 

Une parole remonte du fond des âges, sans doute vers le 7e s avant notre ère. D’une tout autre culture, dans des contextes lointains. Le peuple vient d’être libéré du pays de servitude, l’Égypte, et arrive au désert du Sinaï. Là, il établit son camp, juste en face de la montagne. Et Moïse s’entretient avec Dieu. Histoire antique, fondatrice. La parole qui s’adressait à ce petit reste échappé de l’esclavage par la main-forte de Dieu, aujourd’hui, c’est à nous qu’elle est offerte. Nous, ce peuple cabossé, malmené, dans des terres de servitudes, et qui espère aussi la délivrance. Celle de la covid-19, de trop de misères et d’injustices, d’incertitudes et d’angoisse.

Une affirmation centrale ouvre la série : Dieu a tenu sa promesse, le peuple a été arraché de sa condition d’esclave. Non pour ses mérites, juste parce que Dieu est celui de la vie et de l’avenir, un Dieu qui aime. Nul autre motif. Cette parole inaugurale fonde celles qui suivent, enracinées dans le don initial de la libération.

Cette même parole nous convoque : sur quelle promesse suffisamment tenue reposent nos ordres, interdits, exigences ? quel est notre engagement à la dignité honorée, au respect, à l’amour ajusté et l’avenir encouragé ? Question redoutable pour chacun, pour notre Église, nos familles, nos institutions. Sans fondation dans une promesse fiable, nos «  commandements » sonnent faux.

Et c’est seulement après la parole ancrée dans l’expérience charnelle du peuple, par ses pieds, que viennent les interdits. Ils ne sont pas le donnant-donnant de Dieu, au contraire un nouveau don. Car pour nous tous, devenir libres, jusque de nous-mêmes, est un long voyage, incertain. Libres avec et pour d’autres. Le Dieu de l’alliance ouvre l’espace des possibles en indiquant là où la mort se tient, là où le retour à une autre servitude se niche : dans les faux dieux, le meurtre, le mensonge, le refus de la responsabilité …

Permettez-moi de m’arrêter sur deux paroles : la 3e : tu n’invoqueras pas le nom du Seigneur ton Dieu en vain.Littéralement, « tu n’utiliseras pas à faux le nom de Dieu », « tu ne t’en serviras pas pour le mal, pour faire mourir. » Souvenons-nous des paroles du pape François, après les attentats à Paris le 15 novembre 2015, dénonçant comme un blasphème l’utilisation du nom de Dieu pour justifier la violence. Ou en février 2019 lors de la déclaration avec le Grand Imam Ahmad Al-Tayeb, « Dieu, le Tout-Puissant ne veut pas que son nom soit utilisé pour terroriser les gens ». Et chacun de nous, quel usage faisons-nous de Dieu ? Quand le manipulons-nous pour parvenir à nos fins ? pour justifier nos postures ? Comment aussi ne pas aussi penser aux victimes d’abus, quand l’agresseur s’est servi de l’autorité de Dieu pour justifier son méfait. Alors oui, que notre invocation du nom du Seigneur soit pour ce qui fait vivre…

Et la dernière parole, celle qui boucle avec la première : « tu ne convoiteras pas », « tu ne loucheras pas ». Loucher comme sur-dimensionner, comparer. Convoiter n’est pas désirer, mais se saisir, rapter. Convoiter, c’est vivre en porte-à-faux avec soi-même.

Notre Dieu nous fait une ultime promesse : nous n’avons pas besoin de convoiter car c’est tel que nous sommes qu’il nous a sorti des terres inhospitalières, jusque celles de la comparaison. Juste car il nous chérit et nous invite au dehors, à aller. Les temps demeurent à l’incertitude et la difficulté de vivre. Mais nous  sommes délivrer de tous les dieux qui enchaînent les hommes, ouverts aux possibles.

Sr Véronique Margron op.

 

Paru dans La Vie du 4 mars 2021 : retrouvez le commentaire sur le site de La Vie >> ici