Voilà Jésus.  Sur un âne.

Au milieu des acclamations de la foule et des disciples.

Certains esprits chagrins trouvent qu’ils font trop de bruits : « Réprimande tes disciples ! »

« Réprimande ! »

La scène est à la fois solennelle et finalement dérisoire.

Certains de ceux qui l’acclament aujourd’hui demanderont demain la vie de Barrabas en prix de celle de Jésus.

Quant aux esprits chagrins, peut-être ont-ils eu vent du complot qui se trame contre lui, peut-être même y ont-ils participé ? Non, il ne faut pas faire de bruit pour se débarrasser discrètement de Jésus.

 

Souvent il rentre dans nos vies de la sorte. Monté sur un âne.

Et nous avons le choix, de l’acclamer, ou de trouver que tout ce petit désordre qui l’accompagne est nocif. Nous avons le choix de déposer sous ses pas nos manteaux, de nous délester, ou de comploter.

 

En entrant dans Jérusalem, il nous fait entrer dans la grande semaine sainte, il nous fait entrer dans l’heure tranchante qui ouvre nos cœurs en deux et nous fait voir, un peu, ce qu’il y a dedans.

Aucun de nous n’est digne et aucun n’est indigne de le suivre dans cette étrange procession. Il prend tout. Nos erreurs, nos errements, nos joies profondes et passagères, nos amours, nos malheurs, dès lors que nous les posons dans ses bras. Il prend tout sauf ce refus-là : « Réprimande ».

Il s’avance vers la place la plus indigne qui soit, la place du maudit. Du coup, plus rien n’est indigne de lui qui s’abaisse ainsi. Plus rien n’est perdu pour qui colle comme il peut ses pas à sa trace, effleurant son manteau, accrochant son regard.

 

Même les cailloux qu’il foule au pied savent qu’ils sont voués à une certaine grandeur puisque le Fils de l’Homme descendra encore plus bas qu’eux, dans les entrailles de la terre, dans les confins des enfers, pour aller chercher tout ce qui est perdu.

 

Hier, justement, une des femmes détenues que je côtoie de loin en loin depuis plus de quinze ans me racontait que pour la première fois de sa vie, elle faisait Ramadan. Elle a une existence particulièrement fracassée, faite de violences commises et de violences subies, tout cela lié à une consommation de crack dont elle ne se défait pas. Elle est d’une incroyable générosité, et reconnaissante envers et contre tout pour la vie qu’elle a : « Finalement, je ne m’en sors pas si mal ! »

Nous avons parlé des enfers. Car elle faisait Ramadan pour cela : « il paraît que le prophète, chaque année, sort des personnes des enfers, alors peut-être sont-ils vides, finalement ». Je lui ai dit que je croyais aussi qu’il y avait quelqu’un qui vidait les enfers, que pour moi, c’était Jésus. Je lui ai rappelé le souvenir d’une de ses incarcérations, il y a dix ans environ, où elle avait pris dans sa cellule comme codétenue, une autre, vraiment insupportable, sur laquelle elle veillait avec une grande bonté et discrétion, et que peut-être c’était cela aussi, vider les enfers. Je lui ai redis qu’elle faisait partie pour moi, de ces témoins qui aident à y croire.

 

Et en écho à cette improbable discussion, d’une très grande profondeur et douceur, j’entendais la réponse de Jésus aux Pharisiens : « Si eux se taisent, les pierres crieront ». Tant qu’il y a des personnes comme elle les pierres n’ont pas besoin de crier. Elle portait en elle cette conviction que le prophète Isaïe met sur les lèvres du serviteur souffrant : « Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours. Je sais que je ne serai pas confondu ».

Une sainte femme m’ouvrait les portes de la sainte semaine.

Sr Anne Lécu

Anne lecu