Casimir broute paisiblement – il y a encore de l’herbe bien verte, il faut en profiter- l’été dernier a été si sec qu’il a fallu se
contenter de foin et de paille et dormir à la belle étoile à même la terre battue.

Galipette, à ses côtés, rêvasse selon son habitude, ce qui agace prodigieusement Casimir. Mais il a trop d’affection pour celle qui lui a servi de mère lorsqu’il est arrivé à 9 mois, juste sevré et bouleversé d’avoir quitté la sienne, pour le lui dire. Il attend patiemment, car, en général, Galipette finit par poser la ou les questions qui la taraudent.

Ah ! j’oublie de vous dire que Casimir est un âne et Galipette un poney ! Qui voit l’un, voit immédiatement l’autre.

Mais qu’est-ce que ces animaux viennent faire un jour pareil, le dimanche des Rameaux ? Eh bien « le Seigneur a eu besoin d’une ânesse » et comme Il est très respectueux de la création (prenons-en de la graine) il ne sépare pas un petit de sa mère !

Donc Galipette fait entendre un hennissement discret, histoire d’attirer  l’attention de Casimir . Ce dernier, un tantinet taquin, fait la sourde oreille qu’il a fort belle : feutre et velours. Un second hennissement lui fait lever un museau de soie humide, une pâquerette entre les dents.

« Alors Galipette, de quoi s’agit-il au juste ?

-Ecoute Casimir, le vent vient de l’ouest, n’entends-tu pas les cloches du Christ-Roi ? Donc c’est dimanche ? Et ce dimanche n’est-il pas celui qu’on appelle des Rameaux ?

-Si bien sûr, Galipette, je vois que tu as bien retenu ce que je t’ai raconté l’an dernier !

-Mais … Casimir … s’il te plaît raconte-moi encore aujourd’hui  … tu sais, l’histoire de Himar et Bhim. Je ne me lasse pas d’entendre ce récit que tu appelles « biblique ».

-Tu me fais le coup tous les ans, mais moi aussi j’aime à me souvenir de l’honneur qui est fait à notre race et qu’on relate chaque année pour ouvrir la Sainte Semaine. Tu sais Galipette des histoires d’ânes, il y en a plein la Bible  et les hommes n’y sont pas toujours les méchants qui battent leur animal . Non, écoute, je cite de mémoire ( et si celle des ânes n’est pas celle des éléphants, nous ne nous défendons pas mal) ».

Quand tu vois l’âne de celui qui te  déteste tombé sous le faix, cesse de te tenir à l’écart de ton ennemi. Tu dois, en compagnie de son maître, venir en aide à l’animal ( Ex 23,5)

Tu ne t’esquiveras pas  en voyant tomber en chemin l’âne ou le bœuf de ton frère mais tu aideras ton frère à le relever (Dt 22,4b)

Tu ne laboureras pas  avec bœuf et âne ensemble (Dt 22,10)

– Tu te rends compte, Casimir, si toi et moi on devait labourer ensemble, je suis si petite à côté de toi !

-Qui te parle de labourer, Galipette ? Nous, nous ne sommes pas des bêtes de somme, nous sommes des animaux thé-ra-peu-ti-ques, c’est à dire que nous soignons les adolescents qui ont perdu le sens des relations ! Quelle noble mission ! Je continue :

Chacun de vous, le sabbat, ne délie-t-il pas de la crèche son bœuf ou son âne  pour le mener boire ? (Luc 13,15)

-Ecoute encore :

L’âne reconnait la crèche de son maître, Israël ne connaît rien, mon peuple (dit Dieu) ne comprend rien ( Is 1, 3).

– Je ne ferai pas de commentaires … quoique, quand on compare l’homme (comme fit Jacob avec son fils Issacar) à un âne … ça vaut la réflexion … Mais poursuivons :

Qui d’entre vous, si son âne tombe dans un puits le jour du sabbat, n’ira l’en retirer ? (Mt 12,11)

– Dis, Casimir, c’est quoi au juste le sabbat ?

– Galipette, aujourd’hui je te parle de notre  rôle le jour des Rameaux, pas du sabbat, d’accord ? Tu me fais perdre le fil de mon récit. Donc, tu vois, nous arrivons au dimanche des Rameaux. . Ce jour-là,  Jésus envoie deux amis  lui chercher une ânesse et son ânon.  C’est Himar et  Bhim.

Détachez-les et amenez-les moi ….. le Seigneur en a besoin  : est-ce que tu te rends compte Galipette ? Le Seigneur a eu besoin de NOUS !

-Casimir, un cheval -malgré toute l’estime et l’amitié que je te porte- tu ne penses pas que cela aurait été … plus … approprié pour un roi ?

-Tu me fais de la peine Galipette. Justement le cliché du cheval n’est pas de mise ici. Il faut respecter les Ecritures et  cela avait été annoncé bien longtemps avant par le prophète Zacharie. Jésus ne monte pas sur le dos de Timar parce qu’il est fatigué mais pour adresser un message à la foule. Le message de la vraie grandeur, celle de l’humilité : humilité du publicain par exemple. Du reste, tu remarqueras Galy, que Jésus réquisitionne nos deux équidés comme quelqu’un qui a autorité. Donc chez Jésus royauté et humilité ne sont pas contradictoires, au contraire !

Voici venir ton roi qui vient vers toi plein de douceur monté sur une ânesse et un petit âne. (Za 9,9)

Himar est soulagée que son petit puisse la suivre mais Bhim n’en mène pas large.. Il y a tant de monde, comme à une grande fête. Les gens parlent fort, crient même et chantent. Voilà qu’on dispose sur le dos d’Himar des vêtements pour que Jésus s’assoit dessus.

 Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ». Tu entends bien Galipette « la plupart » c’est-à-dire presque tous. Jamais Himar  et à plus forte raison Bhim n’ont foulé  le moelleux de pareils tapis !

-Mais Casimir, les vêtements vont être dans un drôle d’état !

-Ce que tu peux être terre à terre ma pauvre Galy ! Est-ce que tu te rends compte que c’est un Roi qu’on acclame, un R.O.I.! Un roi porté par un âne et même une ânesse ( pour la parité mâle/femelle).

-La parité ….mâle/femelle, Casimir ?

-Si tu veux bien Galipette, on en parlera une autre fois, d’accord ? Donc voilà Jésus sur le dos d’Himar. Il la mène doucement. Pas de coups de pied dans les flancs, pas d’injures, non de la douceur et de l’humilité. Un poids léger. Il faut dire qu’il n’est pas très épais, le Seigneur. Il mange volontiers ce qu’on lui propose mais la nuit, il part à l’écart pour prier  et, pour porter la Bonne Nouvelle, guérir les malades et remettre les péchés, il marche beaucoup, ceci explique cela. On coupait des branches aux arbres et on en jonchait la route. Himar en profite pour attraper quelques feuilles tendres et goûteuses. Bhim la regarde qui mange avec gourmandise. Cela le rassure un peu mais il attend son heure pour se délecter du lait maternel loin de toute cette agitation. Sais-tu Galipette que le lait d’ânesse est excellent. Même pour les petits des femmes ?

-Oui Casimir, tu me le dis tous les ans ! Maintenant je te pose la question Qui est cet homme ? » et tu me réponds :  C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. Et Himar et Bhim, on les a rendus à leur maître ?

-Bien sûr ! Avant Jésus les a caressés longuement l’un et l’autre mais son regard était si triste, toute la tristesse du monde sur les épaules d’un seul homme !

-Mais Casimir, à propos de Nazareth, il y a bien une histoire d’âne avec Marie et Joseph qui devaient aller à Bethléem à cause d’un recensement ??? ?

-Oui ………… mais Galipette ce n’est pas liturgique d’évoquer cette page de la vie de Jésus aujourd’hui ! NON, ce n’est pas liturgique ! On en reparle en décembre prochain ! »

Sœur Françoise-Chantal Lelimouzin