Une Église dans la mangeoire. Témoignage d’un évêque d’Algérie.

Le livre est de taille modeste. Mais il ne faut pas s’y arrêter. C’est un livre de poids, dans lequel l’archevêque émérite d’Alger, homme habituellement discret, témoigne avec des mots simples et forts de son itinéraire et de son espérance pour la petite Église d’Algérie, « une Église dans la mangeoire ». Une institution qui, « malgré sa longue histoire qui remonte aux premiers siècles (…), (est) en ce moment encore dans une période d’enfantement. Elle est aussi fragile que la crèche de Bethléem ».

Paul Desfarges commence par raconter la genèse de son histoire avec l’Algérie. Né à Saint-Étienne en 1944, il arrive à Ghardaïa en Algérie à l’âge de 21 ans, où il passe deux années comme coopérant dans un collège tenu par les Pères Blancs, étant lui-même séminariste diocésain. À la fin de ce séjour, il fait le choix de la Compagnie de Jésus. Ordonné prêtre en 1975, il est envoyé en Algérie l’année suivante, cette fois à Constantine. Fait étonnant pour un prêtre catholique, il est assez vite recruté par l’université de cette ville pour y enseigner la psychologie.

La spiritualité de la tasse de café

Ces années lui permettent d’approfondir son affection pour le peuple algérien et de mieux connaître son terreau : l’islam. Il acquiert même la nationalité algérienne en 1982. Il traverse ensuite la fameuse décennie noire des années 1990, au cours de laquelle plus de 100 000 personnes vivant en Algérie ont trouvé la mort – dont dix-neuf catholiques, ceux-là mêmes qui furent béatifiés en 2018 et qu’il a bien connus. Il devient vicaire général de Mgr Gabriel Piroird, qui fut l’évêque de Constantine et Hippone durant un quart de siècle. À sa mort, il est ordonné évêque le 12 février 2009 pour lui succéder. Il est transféré à Alger en 2015, d’abord comme administrateur diocésain puis comme archevêque, jusqu’à la fin 2021, quand fut nommé son successeur, un autre Français, le dominicain Jean-Paul Vesco.

Paul Desfarges développe ensuite une thématique qui lui est chère : l’islam et le dialogue entre musulmans et chrétiens. Adepte de « la spiritualité de la tasse de café ou (de) la sainteté de la vie ordinaire (…) ou de la porte d’à côté », il prône « deux attitudes, l’accueil et l’écoute ». « Ce dialogue de la vie, qui peut devenir dialogue spirituel ou dialogue théologique, ne cherche pas à conquérir. Il cherche à mieux connaître l’autre pour mieux l’aimer et le servir. Même en cas de refus de l’autre, l’amour continue d’aimer et de vouloir le bien et le salut de celui qui se ferme. L’Amour ne désespère de personne. La présence de l’Église n’est pas une présence conquérante.

Elle se veut servante humble de la relation que Dieu, en Jésus, veut vivre avec tous ses enfants», souligne l’archevêque émérite.

Le germe de l’Église du futur

Dans la dernière partie de son livre, Paul Desfarges évoque la question des Algériens qui, après des itinéraires assez divers, en viennent à demander le baptême. Il y perçoit la promesse, le germe, de l’Église du futur en Algérie, sans pour autant idéaliser la situation.

Ceux qui font le pas vers le baptême « découvrent vite que l’Église n’est pas l’Oumma. Dans l’Église, l’identité nationale, sociale et l’identité religieuse ne sont pas liées (…). C’est aussi pourquoi, devenus disciples de Jésus, les enfants du pays doivent trouver ou créer entre eux des relations qui répondent à l’appel du Christ : “C’est à l’amour que vous

aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples” (Jn 13,35). Ce chemin ne se fait pas sans difficulté. Il faut apprendre à se faire confiance autrement, ce qui n’était pas attendu, du moins pas de la même manière, dans les relations antérieures », observe-t-il.

Chaque page de cet opuscule témoigne d’une spiritualité paisible mais profondément enracinée, Un livre à « savourer » – selon le mot du cardinal Jean-Marc Aveline dans la préface – susceptible de redonner de l’espérance aux catholiques français de l’autre côté de la Méditerranée.

David Roure, prêtre

La Croix