Celui ou celle qui a la chance de dormir au Mont le sait : les matins sont un enchantement. Il m’est arrivé, l’hiver de dormir en janvier au Mont et de me réveiller alors qu’il fait encore nuit avec un ciel bleu foncé qui laisse entrapercevoir un filet de lumière rose au-dessus d’Avranches. Tout est calme, alors. Et tout à coup, un chant se lève, celui de tous les oiseaux de la baie qui se mettent d’accord pour enchanter le ciel de leur piaillements joyeux, comme un hommage au soleil qui se lève. Il y a les goélands, les pigeons, les moineaux, et des oiseaux moins connus, les bécasseaux, les gravelots à collier interrompu, des courlis cendrés, des bouvreuils.

Le concert de leur chant est une merveille, on a l’impression que c’est la baie entière qui accueille le jour nouveau. D’autres sans doute, sont déjà debout, mais ces oiseaux sont les moines de l’aurore, ils chantent à Dieu les merveilles de sa création.

Il est parfois question d’oiseaux dans la Bible, et je pense notamment à un petit passage de l’évangile selon Matthieu, dans lequel Jésus exhorte les siens à la confiance en Dieu : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille.

Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte :  vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux ». (Mt 10,28-31). Ce texte ainsi traduit suggère que Dieu n’est pas pour rien dans la mort des petits oiseaux, qu’il existerait une forme de providence décidant comme à l’avance de la vie et de la mort des créatures. Mais si on regarde de plus près le texte grec, on peut lire (c’est ce que fait une traductrice éminente, sœur Jeanne d’Arc) : « Pas un d’eux ne tombe sur la terre à l’insu de votre père. Donc, ne craignez pas : plus que beaucoup de moineaux, vous êtes précieux, vous ».

Il n’est donc pas question de la volonté de Dieu, mais de sa présence. En fait, ce que dit le texte, ce n’est pas que Dieu voudrait la mort de tel ou tel moineau, mais qu’il n’y a aucune mort, y compris celle d’un petit moineau de rien du tout, sans qu’il soit présent, lui Dieu. C’est une question de présence et non de volonté.

Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux ». (Mt 10,28-31). Ce texte ainsi traduit suggère que Dieu n’est pas pour rien dans la mort des petits oiseaux, qu’il existerait une forme de providence décidant comme à l’avance de la vie et de la mort des créatures. Mais si on regarde de plus près le texte grec, on peut lire (c’est ce que fait une traductrice éminente, sœur Jeanne d’Arc) : « Pas un d’eux ne tombe sur la terre à l’insu de votre père. Donc, ne craignez pas : plus que beaucoup de moineaux, vous êtes précieux, vous ».

Il n’est donc pas question de la volonté de Dieu, mais de sa présence. En fait, ce que dit le texte, ce n’est pas que Dieu voudrait la mort de tel ou tel moineau, mais qu’il n’y a aucune mort, y compris celle d’un petit moineau de rien du tout, sans qu’il soit présent, lui Dieu. C’est une question de présence et non de volonté.

Nous faisons dire à la volonté de Dieu beaucoup de choses. Non, tout ce qui nous arrive, événements heureux ou malheureux, et notamment la souffrance et la mort de ses créatures, ne relève pas directement de la volonté de Dieu selon le texte biblique. Le livre de la Sagesse le précise avec force : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants » (Sagesse 1, 13). Il ne se réjouit d’aucune larme, d’aucune douleur. Mais nous avons appris à lisant les Évangiles que Jésus le Messie pleure avec nous, lorsque nous sommes en deuil comme il le fait à la mort de Lazare. Il participe aux fêtes de ses amis, et relève un jeune homme mort, fils unique, trop bouleversé par les larmes de sa mère. Plus encore, il accepte d’être conduit à la mort de façon infamante, comme un délinquant, afin d’être présent – car c’est bien l’unique chose qu’il veuille, être présent – à la peine des coupables, lui l’innocent par excellence.

En contemplant les oiseaux de la baie, comment ne pas s’émerveiller de ce que Dieu aime chaque oiseau comme un oiseau unique, qu’il l’a créé avec soin, comme ses semblables et que son chant le réjouit. Combien plus alors, se réjouit-il de notre existence, de notre présence, y compris quand nous-mêmes avons l’impression que notre vie n’est pas à la hauteur de ce qu’elle aurait pu être. Il faut parfois laisser ce sentiment, et devant Dieu, apprendre à croire que notre vie telle qu’elle est, est une joie pour le créateur. Croire que, quoi que nous fassions, il est là, présent, à guetter chacun de nos pas, à craindre nos chutes et à se réjouir de nos relèvements. Voilà ce que nous dit le chant des oiseaux le matin : la joie de Dieu devant les êtres qu’il a créés. L’immense bonheur qu’il a à nous aimer, chacun, d’un amour toujours singulier. Et l’engagement qu’il prend à demeurer près de nous, jusqu’à l’heure de notre mort.

Sœur Anne Lécu