Marie partie en hâte.

S’empresser. Voilà une belle façon de raconter la vie chrétienne.

Aller en hâte au-devant d’autrui, ne pas se poser de question mais être là, s’empresser. Ne pas peser, soupeser les arguments pour et contre, mais aller, ne pas laisser l’autre à sa désolation, à sa douleur, à sa nécessité.

Contempler Marie, en ce dimanche de sa dormition, de son assomption, elle, fille de Sion, elle qui poursuit si singulièrement la lignée des Matriarches, de Sarah à Rachel et Rébecca, de Déborah, la prophétesse, à Judith, la guerrière, d’Anne, la mère de Samuel le premier prophète, à Ruth, l’étrangère venue du pays d’en face, le pays de Moab. La contempler, c’est entrer dans cette suite avec toutes celles qui ont tenu le combat de la vie et se sont empressées pour d’autres : familles, communautés, personnes délaissées, violentées. Ces femmes de foi, d’audace, de courage, de cette sagesse qui risque non pour braver le danger, mais juste par co-humanité.

Marie court sur les routes de Judée et monte avec empressement jusqu’à Ein Kerem, petit village à l’ouest de Jérusalem, au milieu de douces collines arborées. Si la Ville sainte est à deux pas, c’est pour Élisabeth que Marie vient. Deux femmes au destin inouï., au fruit inouï. Une vieille et stérile et qui porte désormais celui qui récapitulera la tradition millénaire des prophètes qui ont préparé les voies du Seigneur : Abraham, Isaac, Job Isaïe, Jérémie, David et tant d’autres. Et l’autre, Marie que la puissance du Très Haut à couvert de son ombre et qui enfantera le Sauveur, le Dieu l’un de nous. L’ombre, comme celle qui a entouré les disciples au jour de la Transfiguration et qui provoqua chez eux de l’effroi.

Ces deux enfants – ces fruits et non ces dus – se reconnaissent. Ces deux enfants que les hommes auront tant de mal à comprendre ; y compris les plus proches. Que d’autres tueront.

Ces deux enfants à la conception mystérieuse pour ne pas dire scandaleuse pour beaucoup qui hier comme aujourd’hui en accuseront les mères. Marie prend avec elle les soupçons d’illégitimité, de honte. Car comment peut-on imaginer que quand elle va redescendre de chez sa vieille cousine avec désormais son ventre arrondi, parents, voisins, prêtres accepteront sa parole : porter un enfant de la part de Dieu, avoir entendu un ange ?

Marie va donner naissance à un enfant illégitime aux yeux de la plupart sans doute. Là commence l’incarnation : donner à tous le droit d’exister et faire la lumière sur qui nous sommes.

Notre Dieu est le Dieu des rejetés, des sans-nom, des bâtards… que tous nous sommes d’une manière ou d’une autre. Par le ventre de Marie, il proclame à chacune et chacun : ton existence est liée à la mienne, car tu es mon enfant, sœur ou frère de mon fils bien-aimé.

Voilà peut-être le sens le plus profond du magnificat de Marie. Elle sait déjà ce que coûte la grâce, de ce jour d’empressement jusqu’à la croix, et proclame que personne n’est illégitime aux yeux de Dieu, que la voie sacrée est celle de la plus haute vulnérabilité. La seule puissance juste est celle de l’Évangile qui offre de croire qu’il est toujours possible d’en faire des merveilles et de porter du fruit. Un fruit sur lequel personne ne pourra porter la main.

Aujourd’hui, Jésus accomplit pour Marie la promesse faite aux siens : « Je vais vous préparer une place et lorsque je reviendrai, je vous prendrais avec moi, afin que vous soyez là où je suis. » (Jn 14, 3) Mais cette place est dès maintenant, dans notre histoire. Car la chair de toute vie humaine est affectée par celle de Dieu en son fils. Une salutation de Dieu lui-même.

Sr Véronique Margron

Méditation biblique publiée sur le site de La Vie le 15 août 2021 : retrouvez-la ICI