Elle est vivante la parole de Dieu, agissante et tranchante…

Le mardi 5 octobre nous avons reçu comme un uppercut au creux de nous-mêmes le rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), présidée par Jean Marc Sauvé. Aujourd’hui je lis ce passage de la lettre aux Hébreux.

Une lettre d’un auteur inconnu, écrite dans la deuxième moitié du premier siècle après la mort et la résurrection du Christ, à une communauté qu’on ne sait toujours pas situer précisément.

On pourrait penser à grand écart : quel rapport ? Et bien justement non.

Car ces versets disent la vérité. Ils disent ce qui a été trahi, bafoué, à travers toutes ces vies plongées dans l’abîme. Ces quelques lignes nous lisent et déchiffrent le mensonge qui a prévalu au creux de la réalité effroyable qui était là, qui est là, mais que nous voulions et peut-être ne pouvions voir en face. Car comment penser la mort, alors que c’est de vie dont parle et témoigne l’Évangile ? Celle de petits, des exclus et des estropiés, justement. Comment regarder la mort en face quand elle s’est déployée du sein d’une Église faite uniquement pour servir l’humain, l’honorer, le reconnaître, au nom de son Seigneur. Et en aucun cas le prendre, le dominer, en abuser.

 

La parole est vivante, agissante, tranchante, coupante.

Rencontrer la Parole c’est rencontrer le Dieu vrai, celui qui ouvre la vie et l’avenir, qui jamais ne retient pour lui. Un Dieu qui engendre. Et l’engendrement fait advenir à la nouveauté, à l’autonomie, à la singularité.

Ce qui nous est révélé aujourd’hui par la Commission Sauvé, que nous avons écouté, lu, entendu, de tant de témoins et victimes, c’est le glaçant contraire : une parole dévoyée, corrompue, manipulatrice, mensongère. Une fausse parole que celle qui permit à des agresseurs de faire croire que leurs crimes étaient la volonté de Dieu, le signe de l’amour de Jésus. D’écrire ces lignes, d’entendre en mon âme ces personnes, de lire les pages du rapport de la CIASE, me fait trembler entre honte, colère, douleur immense.

Comment avons-nous pu ne pas entendre cette trahison ?

Une parole qui « va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles. » La parole vive qu’est le Verbe, qu’est le Christ, a puissance d’investigation. Elle va au plus profond de la personne, pénètre dans tous nos replis. « Là elle juge des pensées et des intentions du cœur. »

Nul ne peut mentir au Verbe, à la parole agissante, au Christ fait chair. Oui tout est vulnérable et sans plus de faux-semblants, de justifications éhontées, devant le Verbe.

 

Cette parole-là, parler par tant et tant de vies brisées, hier et aujourd’hui, élucide ce qui se passe quand des abus ont lieu. Elle élucide le mensonge. Mais elle l’aura payé, si douloureusement, si scandaleusement, de sa vie, d’une part intime de sa vie. De celle restée dans le secret et qui dévore alentour.

Le Verbe a été trahi et avec lui les enfances, la foi, la confiance, l’enthousiasme et l’insouciance de tant et tant. Plus qu’une foule. Désormais il faut « rendre des comptes » dit la lettre aux Hébreux. C’est là exactement où nous sommes.

Être et vivre en dette, de celle qui ne peut se solder, reconnaissant chaque visage bafoué, entendant véritablement les mots de ceux qui ont été exilés du cours de leur existence, réparant ce qui peut l’être.

 

Et puis, les uns et les autres, s’interroger sur notre enracinement dans l’authentique parole. Celle du Christ. Celle qui ne peut se détenir ni s’étouffer. Que nous y trouvions racine. Celle qui dès les récits des origines met en garde contre toute mainmise, tout pouvoir abusif, toute tromperie.

 

Alors ma seule supplication de ce jour, ne plus nous détourner du Verbe agissant, de notre propre chair, enracinée dans le Dieu des entrailles. Ne pas chercher au dehors ce qui peut asseoir notre identité, notre image. Mais demeurer en ce lieu intime où se tient l’amitié vivante et exigeante du Dieu fait chair avec l’humain.

Sr Véronique Margron

 

Il faut lire et méditer Comment tuer Jésus ? Abus, violences et emprises dans la Bible, de Philippe Lefebvre, Cerf, 2021

 

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