Frères et Sœurs qui allez recevoir, dans quelques instants, mission au service de l’Église de Paris, dans les diverses directions où se déploie l’annonce de l’Évangile ici ; et vous, frères et sœurs de leurs familles, et aussi accompagnateurs des services que les premiers vont rendre, collègues, consœurs et confrères ; et vous paroissiens habitués de cette messe paroissiale, hier nous n’avons pas entendu – parce que c’était la fête de saint Denis – le premier chapitre du Livre de Jonas, dans lequel Jonas résiste à la mission qui lui est confiée. Évidemment, cela aurait pu résonner à certaines de vos oreilles comme, en effet, la difficulté qu’il y a à accueillir une

mission qui peut nous sembler effrayante, qui peut nous sembler d’abord au-delà de nos forces. Et bien souvent, en effet, elle l’est cette mission que nous confie le Seigneur. Et la première envie c’est de dire : non, Seigneur, je ne suis pas capable ; non je ne le veux pas. Et un certain nombre de prophètes dans l’histoire biblique commencent par se récuser devant le Seigneur, par modestie, par humilité, par désir de ne pas être ennuyés au-delà de ce qui est raisonnable peut-être. C’est normal, cela peut traverser le cœur et l’esprit. Le Seigneur peut nous bousculer au point de nous faire un peu trembler sur nos bases. Mais une fois que le choix est affermi dans le cœur de celui ou de celle qui répond positivement, il y a quelque chose de nouveau qui se passe.

D’abord, la tâche n’est pas petite, c’est vrai : Ninive était une ville si grande qu’il fallait trois jours pour la traverser. Que dire de Paris ! Et que dire surtout de tout ce que nous découvrons en commençant une mission ? Une certaine instabilité peut nous prendre, en disant : faut-il aller à droite ? Faut-il aller à gauche ? Faut-il commencer par ceci ? Faut-il commencer par cela ? Où sont les priorités ? Bien sûr, on est capable de fixer un début, de dire : je commence par-là, et c’est bien de commencer, de se lancer, d’accepter de plonger, de démarrer quelque chose de nouveau, et de le faire peut-être sans ordre, d’une certaine façon, mais en commençant parce qu’on peut avoir été appelé par quelqu’un, tout de suite, qui a eu besoin de nous, et c’est le commencement. On peut avoir réfléchi un peu avant et se dire : je commencerai par-là, je choisis cette porte d’entrée dans la mission qui m’est confiée. Mais, quoi qu’il en soit, la tâche se révélera toujours infinie : elle ne peut pas être comme résolue par quelques mesures, par quelque plan pastoral qu’il suffirait de remplir pour aller au bout de la mission. La mission, elle s’auto-génère en permanence, tous les jours on découvre de nouveaux domaines, de nouveaux besoins, de nouvelles réalités, et c’est heureux : le Seigneur aussi se trouve là.

Dans le passage que nous venons d’entendre, nous voyons Jonas qui, après avoir hésité, s’en va d’un pas généreux pour accomplir cette mission. Et il est immédiatement comblé, aussitôt. Aussitôt la ville se convertit ; aussitôt, à l’annonce de sa parole, les hommes et les femmes comprennent leur insuffisance, leur indignité, leur comportement inadapté à la bonté de ce qui leur est annoncé, à la beauté du message qu’ils reçoivent. Il s’émerveille de voir se lever, se retourner, se convertir, un peuple que l’on croyait indifférent, que l’on croyait englué dans les difficultés, englués dans le péché. Alors, évidemment, cette image peut nous surprendre, mais elle dit que le Seigneur est déjà présent dans le cœur de ceux à qui les missionnaires s’adressent. Le Seigneur est déjà présent, il est déjà à l’œuvre. Ce n’est pas la parole de Jonas mais bien la Parole de Dieu qui retourne ceux auxquels Jonas s’est adressé. Et de la même façon, chacun d’entre vous qui allez recevoir mission, chacun d’entre vous qui avez déjà reçu mission et qui êtes là pour confirmer en vous ce désir, chacun de nous qui sommes ici, tous, en mission, nous pouvons nous dire : c’est curieux comme le signal que nous pouvons donner est capable de réveiller dans le cœur d’un certain nombre le désir de changer, le désir de s’attacher au Seigneur, le désir d’une vie bonne. L’annonce de la Parole de Dieu révèle les attentes qui sont dans les cœurs. C’est Dieu lui-même qui travaille, qui nous a devancés. Bien des textes de l’Écriture nous le font comprendre ; bien des textes de l’Évangile nous le font comprendre. Le Seigneur travaille avec les missionnaires qu’il envoie. C’est probablement la certitude la plus profonde que nous pouvons recueillir et que je vois moi-même. C’est ce qui se passe dans une Église, dans l’Église de Paris et ailleurs, quand je vous entends aussi parler des missions que vous remplissez et dans lesquelles vous découvrez que vos interlocuteurs sont déjà travaillés par le Seigneur et désirent eux-mêmes avoir cette vie marquée par une parole de lumière : qu’ils désirent eux-mêmes se séparer d’anciennes habitudes qui obstruaient leur chemin ; qu’ils désirent eux-mêmes appartenir au Christ.

Troisième point, c’est la leçon de ce petit passage de l’Évangile que nous venons d’entendre, si célèbre, de Marthe et de Marie, qui suscite les commentaires les plus divers, parfois agacés, que Jésus ait l’air de mal considérer le service de la table, le service de la maison. Mais il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour comprendre que ce que Jésus reproche à Marthe, c’est d’être accaparée par les multiples occupations du service, accaparée par quelque chose d’extérieur qui peut traduire, évidemment, le désir de bien recevoir, mais accaparée au point d’oublier simplement la raison la plus profonde qui a mis en route aussi bien Marthe que Marie, qui est l’accueil du Seigneur. Et nous comprenons que ce reproche de se laisser accaparer par les conditions dans lesquelles nous recevons la Parole du Seigneur, peut engendrer chez nous un vrai besoin de conversion aussi dans la mission. Que nous ne soyons pas d’abord préoccupés des conditions dans lesquelles nous l’exerçons, mais que nous soyons d’abord certains que le Seigneur est là, que c’est avec lui, et non pas simplement pour lui, que nous avançons dans son service.

Nous laisser accaparer par le Seigneur plutôt que par les tâches à remplir, voilà probablement ce à quoi nous invite la célébration dans laquelle nous sommes : accueillir des personnes qui reçoivent mission, se souvenir que nous avons nous-mêmes mission, et vivre cette mission dans le désir d’être avec le Seigneur – comme il est dit dans un autre évangile où nous voyons que Jésus appelle des disciples, ceux qui deviendront les apôtres, pour être avec lui.

Que le Seigneur nous permette de vivre ce temps que nous partageons ce soir comme un renouvellement de notre désir premier, profond, d’être toujours avec lui.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris