Ce 11 novembre, au Mistral, haut lieu des rencontres du Diocèse de Marseille, nous étions invités à marquer les 50 ans d’existence de l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) avec la région Provence, Alpes, Côte d’Azur, Corse ; en célébrant tout le vécu de l’association avec la perspective de poursuivre nos actions.

Quand j’ai rencontré la Congrégation, dès mes premières approches, j’ai eu la joie de rencontrer plusieurs sœurs très impliquées dans cette association…Comme moi, elles étaient sensibles à tout ce qui concernait les Droits de l’Homme, militaient contre la tortue et pour l’abolition de la peine de mort. Nous étions aussi sensibles au fait que l’ACAT se trouve être une association œcuménique.

Cette journée fut ouverte par la lecture de la lettre de Mgr Aveline adressée aux membres de l’ACAT. (Voir en pièce jointe).

En ce jour, le thème général était « Que faisons-nous de notre espérance ».

Dès le début, le ton était donné par l’intervention, sur l’histoire de cette association (en visio conférence) de GUY AURENCHE qui fut l’un des premiers présidents de l’ACAT de 1975 à 1983, puis présidents de la fédération au niveau international (FIACAT), et par le pasteur Michel Bertrand de l’Église Protestante Unie de France, qui a développé le côté spirituel de l’espérance.

Le mouvement est né en 1974, en France. C’était dans un contexte douloureux, par suite de la découverte des faits de tortures en Algérie perpétrés par des Français, mais aussi dans un contexte international inquiétant : parution en 1974 de l’ARCHIPEL DU GOULAG de l’écrivain russe Soljenitsyne, dédié « à ceux auxquels la vie a manqué pour raconter ces choses » de l’enfer des geôles stalinienne, fondé sur la peur, la méfiance, le mensonge ; processus de déshumanisation ; En Amérique latine, les dictatures s’installent par une politique de terreurs, arrestations, tortures, assassinats disparitions forcées. En 1975, au Chili, en Argentine, au Paraguay, en Uruguay, en Bolivie… les mêmes faits se produisent au nom de la lutte contre le communisme avec le soutien implicite des Etats-Unis.

En Asie du Sud-Est, on assiste aussi à ces mêmes exactions dont le dictateur POL POT est une figure effroyable avec le génocide cambodgien qui a provoqué la mort d’un tiers de la population.

Des chrétiens ont tenté sur tous les continents de faire entendre leur voix. Nous nous souvenons du jésuite salvadorien Rutilo Grande ou de Mgr Romero assassinés par les escadrons de la mort, des conférences de Don Hélder CAMARA …

C’est dans ce contexte qu’est née, en France, cette association crée par des femmes protestantes : Hélène Engel et Edith du Tertre, touchées également par les récits des atrocités commises et relatées par Tullio Vinay, pasteur protestant Italien, figure marquante du XXème siècle. Elles déclarent : « Nous ne pouvons pas nous taire ».

Hélène ouvrira la première assemblée de l’ACAT, du 8 décembre 1974 par une conviction spirituelle « La foi chrétienne est […] facteur de liberté et de justice, elle ne nous sépare pas du monde créé par Dieu ou de la société des hommes, elle nous y plonge pour que nos y vivions en responsables ».

Il s’agissait, hier comme aujourd’hui, de renforcer l’alliance entre les Droits Humains (art.5) contre les traitements inhumains) et d’entendre l’appel de l’Évangile au cœur de ce monde « Viens, suis-moi », accueil d’une présence qui nous redit : Tu n’es pas seul. Comme un appel à découvrir notre capacité à briser la solitude de ceux qui sont aussi privés de paroles.

Aujourd’hui, cette résistance est plus que jamais d’actualité, dans de multiples contextes :
incertitudes quant à l’avenir, amertume, défaitisme : À quoi bon…, où l’autre est perçu comme un danger engendrant insultes, violences …, la puissance médiatique utilisée pour le meilleur comme pour le pire, la remise en cause de l’interdit de la torture … et si c’était pour un plus grand bien… Et de l’Etat de droit par la même occasion.

Tout cela interroge, et nous demande d’oser faire acte de Foi dans l’espérance de la dignité humaine envers et contre tout. Il faut avoir l’audace de parler sur le dynamisme des Droits Humains en cette période de notre histoire où ils sont méconnus, soutenir l’Etat de Droit souvent bafoué.

En tout cela, nous sommes encouragés par des hommes et des femmes qui résistent dans des contextes déshumanisants.

Il fallait célébrer le courage de ces hommes et de ces femmes qui résistent dans tous les pays, et qui ont su garder une espérance au cœur de leur détresse.

Alors, l’espérance, dans tout ça, d’où peut-elle venir et comment la faire advenir.

Le pasteur Michel Bertrand nous éclaire.

L’espérance : une force de résilience constamment mise à mal face aux questions du monde, de notre société. Comment espérer encore face au découragement, au scepticisme, aux idéologies qui laissent des blessures inguérissables, aux résurgences de la Shoa, à tous ces maux psycho-spirituels, aux impostures à l’égard de ceux qui souffrent…

En tout cela, nous pouvons nous appuyer sur le caractère paradoxal de l’expérience chrétienne ; c’est une intranquillité un « en dépit de, un malgré tout »… qui se replace dans la conscience pour construire sur ce sol douloureux un avenir possible.

Dans la bible, elle surgit quand le sol se dérobe : En Exode : « Je vais vous donner un avenir, un espérance ». La souffrance est la traversée du désespoir. Job reçoit plus mais ne retrouve pas ses enfants perdus, il en porte la marque, la cicatrice. Et il en est ainsi :

  • Au moment où jaillit l’espérance… Hérode
  • Au matin de Pâques… Marie pleure
  • Sur la route d’Emmaüs… nous espérions…

C’est une réalité existentielle ; il y a une part d’inconsolable.

L’espérance chrétienne tient d’une promesse sur laquelle on ne peut pas mettre la main.
« Recevoir » sans posséder, dans la Foi en une promesse en laquelle on croit car « Voir ce que
l’on espère, ce n’est plus l’espérer. »

Cette espérance est déjà en train de transformer ce monde.

Ce que fait l’ACAT, c’est au présent ici et maintenant ; il nous faut avoir pour moteur les actes de Jésus : les miracles, les anticipations, les guérisons qui ici et maintenant transforment déjà la réalité chaque fois qu’un homme ou une femme est arraché à la violence, libéré après des années d’emprisonnement et recouvre la liberté. Ainsi, nous sommes appelés à l’espérance, à bousculer ce qui ne devait plus bouger, à ouvrir à l’espérance en faisant exister quelqu’un, pour le mettre en relation. C’est ce qui concrétise l’espérance pour les prisonniers. Mais c’est aussi dans l’interpellation des bourreaux. Et pas seulement… la prière constante et persévérante est aussi le moteur de l’action des militants.

Rien n’est irréversible en Jésus-Christ. Il nous faut vivre de la promesse de Dieu que du nouveau peut jaillir ; les forces du mal n’auront jamais le dernier mot . Le Christ n’abandonne jamais les siens. Nous sommes des témoins assistés.

Au fondement, nous ne devons pas perdre de vue ces principes :

_Enraciné notre action dans la promesse de Dieu, reçue dans la FOI qui prend en compte la complexité du monde.
_Persévéré dans la durée avec confiance.
_ vivre la nécessaire et difficile espérance.

Trois aspects de l’espérance font notre spécificité :

  1. Aujourd’hui, l’idée même de Dieu est tombée dans l’indifférence ; Nous traversons une crise spirituelle où l’humain s’est perdu ; nous vivons dans une légitime méfiance à l’égard des religions.
  2. L’ACAT est née d’une indignation devant la torture et la peine de mort, souffrances humaines singulières. Nous devons garder notre dynamisme à ce service, en nous appuyant sur la Parole : « J’ai vu la misère de mon peuple. » : c’est le cri de la souffrance et nous devons l’entendre.
    C’est la compassion qui est l’origine et le moteur du sacrifice de Jésus.
  3. Il nous faut rester sans cesse en éveil…réfléchir et élargir notre champ de vigilance, de réflexion, être des sentinelles des nouvelles formes de souffrance, démasquer et combattre « la banalité du mal » Anna Arendt.; la brutalité (terme biblique : la miette) qui fait que petit à petit la personne est brisée jusqu’à perdre l’estime de soi : « Tu n’émietteras pas ton frère » cf. M-L DURAND., l’oubli de toutes les souffrances avec les constructions systémiques qui paralysent les consciences… Entendre du Seigneur : Mais moi, je vous dis … quand la colère est associée au meurtre … Il nous faut prendre les moyens pour empêcher l’escalade de la violence mortifère.
    L’Évangile se déploie dans la durée pour espérer. Il faut que la transmission s’opère entre fidélité et tradition.

L’inventivité de la Tradition est signe et symbole de l’action de l’Esprit Saint.

Notre matinée s’est poursuivie par le témoignage poignant de madame Antoinette CHAHINE, Ambassadrice de l’ACAT. Elle a subi l’emprisonnement et la torture au LIBAN, avant d’être libérée. Elle raconte combien les milliers de lettres qui lui furent adressées l’ont sauvée de la désespérance et ont fini par obtenir sa libération. Son parcours et sa résilience sont devenus un modèle pour toutes les victimes. Pour elle le combat continue aujourd’hui avec son implication active en tant qu’ambassadrice de l’ACAT.
Dans la suite de la journée, nous nous sommes intéressés à toutes les associations qui défendent les Droits Humains, qui partagent les mêmes combats, les mêmes espérances, chacune selon sa spécificité particulière comme Amnesty International, la Cimade …

Cette rencontre fut tout naturellement émaillée de temps de prière pour se clôturer le dimanche par une célébration œcuménique.